La fillette et l’oie

(tiré du livre Les marigots enchantés, Contes de Côte d’IVoire, Françoise Alcoua)

Dans un village vivait une fillette appelée Êba qui s’ennuyait beaucoup, et qui disait sans cesse à sa mère qu’elle serait heureuse d’avoir un frère ou une sœur avec qui jouer. Mais, chaque fois, sa mère se contentait de soupirer tristement. Pui, elle se décida à expliquer à sa fille qu’elle n’aurait pas d’autres enfants. Êba écouta poliment sa mère et comprit qu’elle ne devait plus insister. Mais l’envie d’avoir un frère ou une sœur ne la quitta pas pour autant.

Un matin, alors qu’elle jouait au bord de la rivière qui coulait non loin du village, elle vit une belle oie nager à la surface de l’eau et lui dit : « Comme tu es belle, petite oie ! Si seulement tu pouvais te transformer en une jolie petite fille et devenir ma sœur, j’en serais heureuse ! » Aussitôt comme par magie, l’oie se mit à nager vers Êba et lui dit : « Si tel est ton vœu le plus cher, je veux bien être ta sœur. Ferme les yeux et compte jusqu’à dix avant de les rouvrir. » Êba obéit. Lorsqu’elle rouvrit les yeux, se tenait devant elle une fillette plus jolie qu’elle ne l’avait imaginée. Poussée par une joie profonde, Êba serra sa nouvelle sœur dans ses bras. Mais celle-ci lui dit :

– Je m’appelle Tanoa ; je serai ta sœur aussi longtemps que nous vivrons, à condition que tu ne révèles à personne mes origines. Pourras-tu garder le secret ?

– Je te le promets ! Maintenant allons vite à la maison ! Tu feras la connaissance de mes parents qui sont les tiens désormais, répondit joyeusement Êba.

Ce fut ains, tout en chahutant, que les deux fillettes regagnèrent la case familiale.

La mère d’Êba accueillit aimablement la nouvelle venue et l’interrogea quant à sa famille. Le récit que celle-ci fit, à propos de ses prétendus parents arracha quelques larmes à toute l’assistance : « Je vivais avec mon père, ma mère, mes dix frères et sœurs et mes grands-parents dans une grande case à l’entrée de mon village. La nuit dernière, des brigands en haillons, armés d’arcs, de flèches et de machettes, sont arrivés chez nous. Ils ont pris nos biens et massacré toute la famille. Seules ma grand-mère et moi avons réussi à nous enfuir dans la forêt où nous avons marché au hasard. Au matin, nous arrivâmes au bord d’une rivière et, comme nous avions très soif, nous voulûmes boire. Ma grand-mère se baissa pour puiser l’eau, elle perdit l’équilibre et tomba dans la rivière qui l’emporta. C’est en errant le long de la berge que j’ai rencontré Êba. Je n’ai plus de famille. »

La mère d’Êba écouta attentivement le récit de Tanoa et, tout en essuyant ses yeux du revers de la main, lui dit :

– Comme c’est triste tout cela pour une enfant de ton âge ! Mais, vois-tu, ma fille te considère déjà comme sa sœur, notre famille est la tienne désormais.

A partir de cet instant, la mère d’Êba eut pour Tanoa, la prétendue orpheline, mille attentions. Dans tous les actes de la vie quotidienne, Tanoa était toujours la première servie, non seulement parce que leur maman était la bonté personnifiée, mais aussi parce qu’elle craignait que les âmes des parents défunts de Tanoa ne viennent la chercher s’ils la savaient malheureuse sur terre. La fillette, de son côté, savait bien lui rendre la gentillesse. C’était donc à qui ferait le plus plaisir à l’autre…

Face à cette complicité qui liait sa mère à Tanoa, Êba se sentait peu à peu évincée du coeur de sa maman par cette sœur d’occasion et elle en prit ombrage. Elle commença par refuser de jouer avec Tanoa, se disputa avec elle, puis ne lui adressa plus la parole. Un soir, alors que toute la famille était réunie pour le repas, Êba torturée par la jalousie, regarda Tanoa en ricanant et dit :

– Je regrette de t’avoir emmenée chez nous ; tu m’as tout volé ; tu n’es qu’une oie, une sale petite oie !

A l’instant même où fut prononcé le mot « oie », Tanoa se transforma en une belle petite oie et prit en courant le chemin de la rivière, au grand étonnement des parents d’Êba. Alors seulement, celle-ci se rappela la promesse qu’elle avait faite. Elle regretta ses paroles, se lança à la poursuite de l’oiseau qui sauta dans l’eau et laissa emporter.

Êba se mit à pleurer à chaudes larmes sur la berge à l’endroit même où un matin, elle eut le bonheur de trouver la sœur qu’elle désirait tant . Quand une femme toute vêtue de blanc, celle que l’on appelait la femme en blanc, posa sa main sur son épaule et dit : « Ne pleure plus mon enfant. Il fallait que cette aventure t’arrive afin que tu en tires une grande leçon : celle du respect de la parole donnée. A l’avenir, quand tu promettras quelque chose, tiens ta promesse quoi qu’il t’en coûte. C’est une des lois de la sagesse. »