Amoikou l’enfant orphelin

Amoikou l’enfant orphelin

(tiré du livre Les marigots enchantés, Contes de Côte d’IVoire, Françoise Alcoua)

Dans un village, Kwadjo vivait avec ses deux épouses : Affoua, la première et Akossoua, la seconde. Affoua était la méchanceté personnifiée et Akossoua, la bonté faite femme… mais comme le dit le proverbe : coeur pur ne fait pas de vieux os. » Akossoua mourut très jeune, subitement, après la naissance de son premier enfant : un petit garçon appelé Amoikou. Sa grand-mère maternelle vient le chercher et l’emmena chez elle dans le village voisin, où elle l’éleva avec amour. Amoikou ne manquait de rien. Avec les autres enfants, il passait ses journées à courir dans la forêt, à grimper aux arbres pour cueillir des fruits sauvages et à se baigner dans la rivière.

Mais quand il atteignit sa huitième saison de pluies. Sa grand-mère mourut à son tour. Kwadjo, son père, connaissait la férocité de son épouse Affoua ; il savait que son fils n’aurait pas la vie facile avec elle et craignait de ne pas pouvoir le protéger. Ce fut donc avec regret qu’il ramena Amoikou chez lui.

Les craintes de Kwadjo ne tardèrent pas à se justifer. Dès leur arrivée, Affoua donna un grand canari à l’enfant en lui ordonnait d’aller chercher de l’eau au marigot. A peine eut-il ramené le canari d’eau, qu’elle lui tendit un coupe-coupe. « Ramène moi un bon chargement de bois sec », lui dit-elle sans ménagement. L’enfant qui n’avait par l’habitude d’exécuter de tels travaux, rentra à la maison au crépuscule avec beaucoup de bois sec et les mains ensanglantées. Lorsqu’il demanda à manger, les lui tendit les maigres restes de nourriture de ses deux fils.

Chaque jour, après avoir rempli sa corvée d’eau et de bois, il se mettait au service de ses deux demi-frères comme l’avait ordonné l’acariâtre Affoua. Alors, jusqu’à la tombée de la nuit c’était : « Amoikou va balayer ma case, Amoikou va laver mon linge, Amoikou par ici, Amoikou par là ». L’enfant n’arrêtait pas d’aller, de venir, de porter de lourdes charges sur la tête. Il travaillait beaucoup mais mangeait très peu. Il ne se nourrissait que si les autres membres de la famille laissaient des restes. Sinon il dormait le ventre vide, ce qui se produisait souvent. Amoikou était arrivé chez son père plein de vie et bien en chair. En l’espace de quelques semaines, il n’avait plus que la peau sur les os, ne souriait plus, mais pleurait beaucoup en rasant les murs.

Un jour, après avoir longuement pleuré, il sécha ses larmes avec les pans de son pagne en haillons et, regardant fixement l’horizon, il dit : « Esprit du Bien, Ô mon bon génie, on m’avait dit que ma mère et ma grand-mère étaient parties dans un lointain pays. Toi qui vois tout, s’il te plaît, dis leur de ne plus tarder à revenir à la maison, car je meurs de faim. » A peine eut-il fini de prononcer ces paroles qu’une main douce et caressante se posa sur son épaule. Il sursauta et se retourna. La femme en blanc lui souriait. Elle lui dit : « Si tu aimes ta mère et ta grand-mère, promets-moi de ne jamais plus pleurer. Cela leur cause un immense chagrin, car aussi loin qu’elles soient, elle te voient. Elle m’ont d’ailleurs chargée de te dire qu’un jour, tu les rejoindras. En attendant, prends ce canani ; quand tu auras faim, demande-lui de te donner à manger ; mais attention, tu ne peux lui demander que de la nourriture, jamais de biens précieux, comme l’or, par exemple ». Puis, comme par enchantement, elle disparut.

Dès qu’Amoikou se retrouva seul, il dit :

– Canari, mon bon canari, remplis-toi de riz et de gros morceaux de viande de mouton bien cuite.

Aussitôt, le canari déborda de riz et de viande fumante. Amoikou mangea avidement.

Quand il eut terminé, il dissimula son canari magique en une cachette sûre et retourna au village avec sa charge de fagots. A la maison, sa marâtre lui tendit les restes de nourriture, il fit semblant de les manger pour ne pas attirer l’attention.

Ainsi, les jours passaient… Amoikou, ainsi qu’il l’avait promis la mystérieuse femme en blanc, ne pleurait plus et grossissait à vue d’oeil. Ce que l’affreuse marâtre ne manqua pas de remarquer. Elle voulut en savoir plus.

Un matin, sans se faire voir, elle le suivit alors qu’il se rendait aux champs, pour sa corvée de bois. Se croyant seul, Amoikou sortit son canari de sa cachette et lui commanda du attiéké et du kédiénou. Après s’être régalé, il remit son récipient dans sa cachette, rassemblant rapidement quelques morceaux de bois et s’en retourna au village. Malheureusement pour lui, sa marâtre l’observait derrière un buisson. Dès qu’il tourna le dos, elle sortit le canari de sa cachette et l’emporta. Au village, elle se précipita dans sa case, posa le canari sur ses genoux et dit :

– Canari, mon bon canari, je n’ai pas faim, moi, j’ai de quoi manger. Ce que je veux, c’est de l’or, remplis-toi d’or, mais rien ne se passa. Surprise, Affoua répéta son ordre, un peu plus fort, mais rien encore. Alors, l’irascible marâtre hurla : « Sale canari, je t’ordonne de me servir beaucoup d’or ! » A peine eut-elle terminé sa phrase, qu’une chicote se dressa, menaçante, hors du canari et mit à tourbillonner et lui asséner une cascade de coups. Elle sortit de sa case dans des hurlements assourdissants et courut vers la place chercher du secours, poursuivie par le fouet magique qui la fouettait avec rage. Les villageois, alertés par les cris d’Affoua, accoururent. Le spectacle qui s’offrait à leurs yeux les laissa muets de stupeur d’abord, puis de satisfaction ensuite, car Affoua était réputée pour sa méchanceté.

Après quelques instants, le fouet s’arrêta de tourbillonner et une voix venant de nulle part retentit avec colère : « Comment peux-tu être aussi cruelle? Comment peux-tu faire travailler un aussi jeune enfant et ne point lui donner à manger ? Aurais-tu aimé voir tes fils affamés par une autre épouse de ton mari si tu avais été là ? Tu vas promette devant tous les villageois ici réunis que désormais tu traiteras Amoikou de la même manière que tes deux fils. ». D’une voix humble et tremblante, la mégère déclara : « Je promets solennellement. »

Soudain, on ne vit plus de fouet, on n’entendit plus de voix et Affoua s’en alla sous les ricanements de l’assistance.

Comme elle l’avait promis à la voix mystérieuse, elle éleva le petit Amoikou avec amour. Elle devint aussi la protectrice de tous les enfants orphelins maltraités et cela aussi longtemps qu’elle vécut, non seulement parce qu’elle avait promis, mais parce qu’elle avait souffert moralement et physiquement. Et comme le dit un proverbe : « La souffrance est une vieille femme sage qui porte conseil. »